De l’importance de la perte
L’expérience de la perte est presque quotidienne.
Nous perdons des amis qui s’éloignent, ce livre prêté et jamais rendu, une journée à cause de la grippe qui nous cloue au lit, un animal de compagnie qui avait bien vécu, une opportunité de travail car on a trop tardé, un être cher qui décède. La perte peut être vécue à partir d’un élément tangible ou physique (une personne, un objet), mais aussi immatérielle (le temps). En observant bien, on peut se rendre compte que le mécanisme déclenché en nous est similaire : le deuil.
Il y a fort à parier que vous n’accordiez pas la même importance au vélo qu’on vous a volé hier qu’au décès de votre arrière-grand-mère. Et du coup, il est possible qu’une partie de vous s’insurge à l’idée que je mette dans le même sac un livre non rendu et le décès de la grande tante. En effet, il y a une différence : vous ne jugez pas ces deux « objets » du deuil avec la même importance. Peut-être me direz vous que la mort d’un proche est « plus importante » que la perte d’un livre.
Que diriez-vous d’un petit un petit jeu ? (promis, il n’y a rien à perdre… Enfin, peut-être un préjugé)

Situation A : Le même jour, vous laissez tomber par maladresse un livre de la collection Harlequin au fond d’un égout, et votre grande tante adorée (celle qui vous a presque élevé, avec moult câlins, tartines beurrées et petites attentions) décède subitement. Qu’est-ce qui vous rend le plus triste ?
Situation B : Le même jour, vous laissez tomber au fond d’un égout un livre de la collection Harlequin (celui-là même que vous a offert votre premier (et seul) grand amour et qu’il ou elle avait dédicacé avec beaucoup d’humour) et votre grande tante (celle qui torture des chats, n’a jamais manqué de vous pincer la joue, de médire sur vous et de vous retourner une gifle chaque fois que vous posiez les coudes sur la table) décède subitement. Qu’est-ce qui vous rend le plus triste ?
D’accord, le trait est un tantinet forcé. Mais c’est pour les besoins de la démonstration !
A priori, le décès de votre grande tante n’a pas eu le même effet dans la situation B. Pourtant, il s’agit tout de même d’un être humain qui est passé de vie à trépas ! Le choix ne peut pas se justifier par la simple logique, mais par un ensemble de paramètres qui vont influer sur notre réaction émotionnelle. En voici une petite liste (non-exhaustive) :
- Valeurs : « quelqu’un qui torture les animaux vaut moins que rien »
- Culture : « la mort d’un humain, c’est important »
- Histoire personnelle : « c’est bien fait pour elle, après tout ce qu’elle m’a fait subir ! »
C’est le mélange de ces paramètres qui nous permet d’attribuer une note d’importance à l’objet de la perte, et la douleur ressentie est fonction de cette note.
En guise de mémo pour ce premier point : si vous vous étonnez un jour du « trop » ou du « peu » de tristesse exprimée par quelqu’un au sujet d’une perte: repensez à la dédicace, ou aux chats torturés. L’évènement peut ne rien représenter en apparence, et occasionner une grande peine, ou au contraire sembler d’une importance capitale, sans provoquer beaucoup d’émotion. N’oubliez pas que beaucoup de paramètres vous sont sûrement inconnus.
L’importance d’une perte est personnelle
Un processus pour tous
Si vous avez bien suivi, vous en êtes peut-être à vous dire : « mais alors, si la seule chose qui diffère entre perdre un livre et la grande tante est simplement mon jugement, ça voudrait dire que le processus qui permet d’accepter, de faire le deuil peut s’appliquer indifféremment de l’un à l’autre » ?
Exact ! On revient au postulat de départ : l’objet du deuil peut différer, l’importance qu’on lui accordait aussi, mais, en soit, le mécanisme « deuil », reste le même. J’irai même jusqu’à paraphraser J.R.R. Tolkien pour dire : un deuil pour le livre, un deuil pour la famille, et un processus pour les réguler tous !

J’admets qu’il peut être choquant de réaliser que, finalement, profondément, il n’y a aucune différence. Mais à y regarder de plus près, c’est ce qui se passe pour beaucoup de mécanismes. Souvent, nous avons tendance à distinguer le processus en fonction des effets visibles (manifestations) ou de ses conséquences, et non en fonction de la nature de celui-ci.
Je vous fais un dessins pour enfoncer le clou : perdre l’équilibre et tomber sur une plage de sable fin est exactement le même processus que perdre l’équilibre au bord d’une falaise et s’écraser en plusieurs morceaux 400 mètres plus bas. Pourtant, nous nous focalisons uniquement sur l’impact (jeu de mot volontaire !).
Finalement, c’est une sacrément bonne nouvelle : si nous parvenons à surmonter le deuil de ce super roman à peine entamé et oublié dans le train, cela signifie que le processus de deuil est à notre portée, qu’il est activable ! Il ne restera qu’à comprendre comment le mettre en route le plus efficacement possible lorsqu’il s’agira de notre grande tante préférée.
Un seul processus : comprendre comment l’activer.
Ce n’est pas mal !
« Je ne peux pas faire le deuil, je n’ai perdu mon mari que le mois dernier»
Bon, jusqu’à preuve du contraire, aucune lois de l’univers ne spécifie une durée d’attente incompressible avant de compléter un processus de deuil. Dans ce cas, ce qui est dicté par des habitudes sociales et/ou culturelles ne font que retarder le processus de deuil. Tout processus a une durée, et cette durée varie, mais ne devrait pas être dictée par des normes sociales.

Il est mal vu pour un veuf ou une veuve de retrouver l’amour rapidement. Pourquoi au contraire ne pas se réjouir de voir qu’une personne vit à nouveau un bonheur ? Devrions-nous plutôt lui souhaiter de passer un peu plus de temps à se morfondre habillé en noir ?
Nous sommes en plein dans les « convenances ». Un grand mot qui cache mal une pression sociale aux limites floues, mais qui n’en est pas moins très forte. Au travers des convenances, nous nous rendons esclaves des autres et de leur pression psychologique. Refusez cela !
Ce n’est pas mal de faire le deuil !
« Je ne veux pas oublier »
« Pas si vite ! je ne veux pas faire le deuil, je ne veux pas oublier »
Nous confondons souvent ces deux aspects, du deuil et de l’oubli. Comme si deuil signifiait « effacement des souvenirs ». A tout le moins, le deuil permet de mieux vivre avec ses souvenirs, d’être en paix avec eux. L’objectif du deuil est de ne plus souffrir de la perte, ni plus, ni moins.
C’est vrai que, si nous pouvions oublier les faits « par magie », un peu comme on supprime un document de son ordinateur, on pourrait aussi oublier la souffrance due à la perte. L’amnésie. Voilà une solution pratique, facile, indolore, lorsque le deuil nous semble infranchissable !

Sauf que bien souvent, on ne veut pas oublier. Je vous renvoie aux quelques paramètres listés plus haut : les valeurs, la culture… Autant de choses qui rendent l’oubli inacceptable. Nous nous refusons le droit à l’oubli d’autant plus fort que nous accordons de l’importance à l’objet de notre souvenir. Finalement, plus nous souffrons, moins nous nous donnons le droit d’oublier.
Heureusement, la solution pour sortir de ce qui peut sembler être une impasse n’est pas dans l’amnésie sélective : je vous en dis plus dans la suite !
Faire son deuil n’est pas oublier !
La tristesse c’est de l’égoïsme
Il s’agit du fameux : « Je suis si triste que grand-tata nous ait quitté… Je ne la verrai plus… Ah ! Plus je ne mangerai ses biscuits… » Je crois que c’est assez clair.

La tristesse ne provient pas vraiment de la disparition de la grande tante. C’est en réalité la perte de l’accès à certaines ressources qui cause un désarroi. « Je ne pourrai plus jamais la voir », « Je ne pourrai jamais plus débattre de la théorie de la relativité avec elle ». Nous ne pensons pas à elle, mais bien à nous !
En observant attentivement et d’un œil critique, sans complaisance, l’origine de votre tristesse, il apparaît que l’origine de cette tristesse est en réalité profondément égoïste. C’est une réalisation importante, car elle permet d’accepter plus facilement le travail de « nettoyage » émotionnel qui s’ensuit.
Attention : loin de moi l’idée de fustiger l’égoïsme. Ici la prise de conscience de cet égoïsme est salvatrice : réaliser cela est un grand pas vers le retour à l’équilibre.
Prendre conscience de son égoïsme
La grande leçon du deuil
La tristesse que nous ressentons après une perte a un sens. Cela peut être difficile à percevoir à première vue, mais la perte et le deuil ne sont pas forcément une espèce de punition de la nature, un truc injuste qui nous tombe dessus sans crier gare.
La tristesse, en tant qu’émotion, a vocation à nous faire comprendre qu’il y a un enseignement à tirer de la situation.

Mais quel enseignement ? Eh bien tout simplement (*roulement de tambour avant révélation d’un grand secret de l’univers*) : tout doit disparaître !
Rien n’est éternel. Ni nos relations, ni nos possessions, ni notre personne. Nous allons tous mourir un jour et dans son infinie générosité (sic !) la nature nous le montre quotidiennement. Un peu comme pour nous préparer à l’issue fatidique.
Chaque deuil, qu’il soit jugé petit comme celui de notre livre harlequin, ou immense, comme celui d’un être aimé, n’est qu’une leçon de plus que nous recevons.
A nous de l’apprendre !
Entraînez-vous
Si vous avez eu la flemme de lire jusqu’ici et que vous êtes venu directement au résumé, désolé que vous ayez raté autant de jeux de mots et mon brillant humour.
Plus sérieusement, je résume :
- La tristesse que nous ressentons lors d’une perte est un mécanisme égoïste, dont l’importance dépend de la valeur que nous attribuons à la perte.
- La tristesse liée à la perte est simplement là pour nous faire comprendre que tout est voué à disparaître.
- Ce n’est pas mal de faire son deuil quoiqu’en dise la pression sociale, car ce n’est pas oublier, mais continuer à vivre.
Parce que le deuil est un processus important, et que comprendre intellectuellement, c’est bien, mais qu’expérimenter, c’est encore mieux, j’aimerais clore ces quelques lignes avec quelque chose de plus concret.
Je vous propose donc un petit entraînement accessible à tous en trois axes :
1- Apprendre à respirer

La respiration est un mécanisme d’évacuation qui est lié à la tristesse. Vous pouvez vous rendre compte facilement si vous avez déjà soupiré en étant triste, ou manqué d’énergie dans la voix lors d’un deuil important.
Non seulement le fait d’entraîner sa respiration soulagera l’évacuation de la tristesse, mais songez également à tous les effets bénéfiques sur votre santé. Si vous vous demandez par où commencer, je ne peux que vous conseiller d’aller voir du côté de l’Ecole de l’art de la respiration. Elle est fondée par Yvan Cam, un docteur en biologie qui sait de quoi il parle. Les cours en ligne hebdomadaires assurent un bon suivi pour progresser.
2- Ajuster les valeurs

Comme expliqué plus haut : plus nous jugeons une perte importante, plus le deuil sera difficile à effectuer. Partant de cette idée, pourquoi ne pas se poser quelques questions sur ce qui est vraiment important, vraiment grave ? Sur les raisons profondes qui nous amène à juger ceci avec ce degré d’importance ? Est-ce un choix personnel ? Ou peut-être le résultat d’une pression de notre culture, de la société dans laquelle nous vivons ? Dans tous les cas, vous ne risquez rien à vous interroger, et peut-être pourrez vous même insuffler un peu de légèreté dans votre vie en reconsidérant gravité de certaines choses…
Je détaillerai ce point dans mon conseil du lundi 22 février !
3- Lâcher prise

Cette qualité n’est ni un abandon, ni un renoncement. Le lâcher-prise est l’expression de l’acceptation que l’univers nous dépasse, et que nous ne sommes finalement pas grand chose (autrement dit, pas si important que cela). Il existe des techniques très précises pour développer le lâcher-prise au travers de pratiques corporelles, par l’esprit ou encore le souffle. Cela fait partie des petits exercices que je peux donner en consultation, pour des résultats soient durables. C’est aussi un sujet récurrent des conseils hebdomadaires, donc n’hésitez pas à vous abonner, c’est gratuit !