Combien d’entre vous consultent leur smartphone avant même d’être allé aux toilettes le matin ?
Se connecter à un flux de données permanent est devenu un geste réflexe, immédiat, quotidien. Nous vivons dans une société où l’information occupe une place prépondérante. Dès le réveil, avec le journal, les réseaux sociaux, puis la radio dans la voiture, pour poursuivre toute la journée avec les e-mails, les mémos, les rapports, les fils d’actualités, les notifications, encore des réseaux sociaux, et ne finit que tard le soir lorsque nous finissons enfin par débrancher.
Chercher à être informé n’est pas un problème, tant que cela ne nuit pas à notre capacité à passer à l’action.
Flashback

Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai travaillé pendant plusieurs années pour de grandes sociétés de l’évènementiel et des télécommunications. J’ai deux souvenirs assez marquant à ce sujet, dont voici le premier : je faisais partie d’une équipe, dont l’une des missions était de conseiller la direction sur des options stratégiques. A ce titre, ma boss devait fournir des recommandations qui prenait la forme de rapports très précis et documentés. Elle s’appliquait tout particulièrement à rendre ce document efficace. Étant très professionnelle, elle voulait que la directrice puisse utiliser ce document pour prendre une décision éclairée. Croyez-le ou non, malgré cela, cette prise de décision trainer pendant des mois… Tous les quinze jours, la directrice redemandait à ma cheffe de revoir un point, d’ajouter des informations, de présenter le rapport d’une autre manière. Rendant ainsi totalement inefficace un travail conçu pour l’efficacité.
Alors, pourquoi ? Pourquoi, alors que l’inaction coûte des parts de marché dans le monde de l’entreprise ? Pourquoi, alors que les décisions sont rendues évidentes par un minutieux travail en amont, demandons-nous toujours plus d’informations ?

Retour sur memory lane… Pendant un mois, je me suis retrouvé invité au point hebdomadaire des « grands directeurs ». J’avais une solution précise qui permettait de résoudre en partie un soucis grave que nous avions en terme de rétention de clients. Ma solution était simple, coûtait peu, ne présentait aucun risque. Elle méritait clairement d’être tentée. A chaque réunion, le directeur me demandait de réexpliquer ma solution, ses avantages, ses inconvénients, pour finir par botter en touche dès que je demandais si on y allait, si on se lançait « on en rediscute et on tranche la semaine prochaine ». Au bout de la 4eme réunion de ce type (un mois plus tard donc), je raccroche le téléphone) et dans les 30 secondes, l’une de ses N-1 m’appelle : « OK Serge, nous on le fait. Go ! »
Sur la même base d’information, ledit directeur ne prenait aucune action, tandis qu’une des directrices, elle, se lançait. Quelle est donc la différence ? Comment ce directeur pouvait-elle renvoyer la décision à une réunion ultérieure pour la 4ème fois sans se rendre compte du dommage causé à l’activité de l’entreprise ?
La grande confusion

Que ce soit dans le monde de l’entreprise (et ce, quelle que soit sa taille), ou dans une sphère plus personnelle, il est bon de savoir où l’on met les pieds avant de prendre une décision. La récolte d’informations, leur tri et leur hiérarchisation participe à élaborer un plan d’action. Il nous permet de nous organiser pour que tout se passe au mieux, dans le bon ordre, en dépensant le moins d’énergie ou en s’énervant le moins. Et son utilité ne s’arrête pas là. Nous pourrions même dire qu’elle ne commence pas là. Avant de planifier les moyens d’action, il faut déjà décider de la faisabilité. Être certain de pouvoir réussir nous aide à passer à l’action.
Ça paraît simple, et pourtant, c’est précisément là que se situe ce que j’appelle « la grande confusion« .
Prenons un exemple très concret :

J’ai décidé de me mettre à cultiver mes légumes, et surtout mes tomates, car j’en ai assez de me nourrir de pesticides. Pour cela, je regarde un maximum de vidéos sur les anciennes variétés de tomates, les semis, le repiquage, voire même les greffes. Je m’intéresse aux substrats de culture, aux amendements. Quels composts utiliser, comment le produire,… bref, le sujet est vaste est nécessite une étude sérieuse.
Donc, vous êtes d’accord, j’ai quand même bien avancé, et au bout de 250h de visionnages et de lectures variées, je maîtrise mon sujet ? OK, second exemple :

Je tombe sur une vidéo de recette de tarte aux pommes qui me fait particulièrement envie. Je regarde la liste d’ingrédients, et la compare avec ceux que j’ai dans mes placards. Puis là je réalise qu’il y a un ingrédient dont je ne veux pas, car je suis allergique au beurre/gluten/œuf/bave de crapaud (rayer les mentions inutiles), je me mets donc en quête d’une autre recette. Je fais un panorama de toutes les recettes de tarte aux pommes et les compare pour trouver enfin la recette idéale.
Bon, et là, j’ai bien avancé ?
Oui ?
Mais où sont mes tomates bio ? Mais où est ma tarte aux pommes ? Est-elle sur la table, prête à être découpée ? Dans mon four en train de cuire ? Sur le plan de travail, en train d’être réalisée ? Malheureusement non, la tarte aux pommes n’existe que dans mon esprit, ce n’est encore qu’un fantasme (du latin phantasma : une image dans l’esprit). Je ne suis pas prêt de la manger !
C’est ceci, la grande confusion :
- Croire que l’on connaît quelque chose quand on ne l’a jamais réalisé.
- Croire que l’on a fait quelque chose quand on a fait qu’y réfléchir.
Si nous revenons aux deux exemples du début de l’article. De toute bonne foi, les protagonistes de mes deux souvenirs étaient persuadés que demander des rapports, les lire, organiser des réunions, c’était faire, c’était agir. En plein dans la grande confusion.
Agir c’est trancher, prendre une décision et la mettre en mouvement dans le monde réel.
Il n’y a pas davantage d’action dans les deux exemples fruitiers. Nous n’avons pas plus de belles tomates bio qui poussent que de bonne odeur de tarte aux pommes chaude. Nous avons juste l’illusion perverse d’avoir avancé sur le sujet et d’avoir concrétisé.
La perversité de la réflexion
Si vous avez l’habitude de me lire, vous savez que j’aime être un peu provocant pour faciliter la prise de conscience. Ici, l’un des éléments qui me semblent importants à souligner est que si le monde de l’entreprise aime les réunions, si nous aimons regarder mille vidéos sur un sujet, lire une multitude de livres sur le développement personnel (ou la cuisine !), c’est parce que cela ne nous engage à rien.
Nous ne nous mettons pas en danger, puisque nous n’avons pas agi !
C’est donc extrêmement rassurant. Tout en ayant le sentiment d’avoir fait beaucoup, nous nous dédouanons de toute prise de risque supplémentaire. C’est le cœur du fonctionnement de la « réunionite aigüe », et c’est aussi malheureusement le mécanisme au cœur de beaucoup d’autres fonctionnements.

Et c’est en cela que la réflexion est perverse : tout en étant indispensable, elle peut venir déborder, submerger, étouffer toutes velléité d’action, de réalisation, de concret.
Dans tout projet quelque soit son contexte, sa durée, ses conséquences, il y a a minima deux phases : une de réflexion et une d’action
Croire qu’en n’en faisant qu’une sur les deux nous allons réussir, c’est être en plein dans la « grande confusion ». Se persuader que nous avons fait beaucoup alors que nous sommes resté uniquement dans le monde des idées revient à se mentir.
Mais pourquoi nous mentons-nous ?
La peur des conséquenceS
Si nous acceptons aussi facilement de nous mentir à nous-même, si nous sommes près à défendre bec et ongles que oui, nous avons agi juste en réfléchissant c’est parce qu’au fond, nous avons peur d’agir.
L’action laisse une marque dans le monde réel. Elle est concrète. Soit mes tomates poussent, soit ma tarte aux pommes est bonne, soit je contemple des pieds brûlés par le soleil, ou un morceau de pâte carbonisé. Réfléchir nous permet de croire que l’on agi, croire que l’on s’est mis en mouvement sans aucun risque d’échec. C’est merveilleux, non ? ! Oui, sauf que rien ne peut se réaliser comme cela.
Pas étonnant alors que nos projets prennent six mois de retard, que notre jardin soit en friche et que mangions toujours les légumes de notre supermarché, ou encore, que nous n’ayons pas entamé de vraie recherche sur qui nous sommes, sur nos aspirations profondes…
Nous avons juste peur.
Une peur d’autant plus normale que l’inconnu est potentiellement dangereux, donc effrayant. C’est primal. Nous avons peur de nous tromper, peur de commettre une bévue irrattrapable. Cette peur, nous l’expérimentons tous un jour ou l’autre, et il n’y a rien de honteux. La peur peut être salutaire, et le passage à l’action – comme la pâtisserie – cela se travaille !

https://twitter.com/Hampsworld/status/1146194857217724416
En revanche, ce qui serait plus grave, c’est de croire qu’en ayant réfléchit à ce problème tout au long de la lecture de cet article, nous l’ayons résolu concrètement… Passons à l’action !