L’autre jour sur un réseau social hégémonique, je lisais le commentaire sur la mini-série Lupin (inspirée de l’univers d’Arsène Lupin, où l’acteur Omar Sy joue un « gentleman cambrioleur ») que je vous livre ici tel quel :
Je comprends pas.
Au risque de passer pour un pauvre vieux con, je vois pas pourquoi, tout, comme pour James Bond, on a besoin de remplacer le héros d’origine qui est blanc par un « Nouveau héros » noir ou une femme. On fait du cinéma ou de la Politique? A quand un « Homme qui valait trois milliards » Transgenre?

Ce commentaire touche à différents thèmes, et soulève beaucoup de questions, auxquelles j’ai immédiatement voulu réagir (et pas seulement parce que j’adore le cinéma !). Je me suis ravisé, et j’ai préféré l’utiliser comme point de départ pour décortiquer différentes questions au travers de cet article, qui me permets plus de détails que ce qu’un réseau social ne me permettrait.
Cet article se veut raisonnable, et à l’instar de mes autres publications, j’aimerais simplement nous donner du grain à moudre. Rassurez-vous, l’objectif n’est pas d’ajouter une énième polémique à toutes celles dont nous sommes bombardés ces derniers temps.
Discourir de ce que l’on ne connait pas
Donner son avis, vouloir discuter, se positionner pour ou contre quelque chose, souvent sans presque rien savoir du sujet en question, est une tendance naturelle et que l’on observe facilement, en nous-même aussi bien que chez les autres. N’en suis-je pas moi-même une parfaite illustration avec cet article ? Les réseaux sociaux ou les plateaux de télévision nous offrent un florilège quotidien de soit-disant-pseudo-experts-autoproclamés où l’on ne se gêne pas pour affirmer, marteler arguments douteux voire contre-vérité sans vergogne.
on a besoin de remplacer le héros d’origine qui est blanc par un « Nouveau héros » noir
L’auteur de cette opinion n’a visiblement pas pris le temps de vérifier ce qu’il en était vraiment. Peut-être qu’il a réagit trop vite sur un article au titre aguicheur, ou peut-être qu’il a juste entendu cette information déformée à la radio. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas pris la peine de creuser plus avant (ne serait-ce qu’en consultant la page Wikipedia de la série). Car s’il avait fait cela, il aurait rapidement pu constater que non, le héros blanc de Maurice le Blanc n’est pas remplacé par un noir (sic).

Voici ce dont traite réellement la fiction Lupin: un père sénégalais féru de littérature offre à son fils pour son anniversaire un des livres de la série Arsène Lupin de Maurice Leblanc. Le père est accusé de vol, emprisonné injustement, et finira par se suicider, rongé par la honte. Ce livre donne du courage à l’enfant, et lui permet de vaincre ses souffrances et de se construire à l’image du héros.
Cette série n’est donc pas un remake d’Arsène Lupin, mais plutôt une variation sur l’idée d’un salut par la littérature. Salut qui n’en est pas un, car elle conduit le héros vers d’autres affres, sans doute bien pires… Bref, le postulat de départ est faux : il ne s’agit pas de remplacer un héros par un autre.
Se renseigner avant d’émettre un jugement à l’emporte-pièce nécessite certes un effort intellectuel. Mais sans cela, comment espérer être pris au sérieux lorsqu’on prend la parole ?
Se baser sur un référentiel erroné
Difficile de discerner clairement les contours de quelque chose dont nous nous tenons trop proches. Sans prendre du recul, sans s’extraire de la situation, les détails de celle-ci sont aussi invisibles que les détails d’un feuillage si vous collez votre nez à l’arbre. Essayez, vous verrez !
On fait du cinéma ou de la Politique?
Le cinéma a toujours fait de la politique. Quelques grands exemples qui me viennent à l’esprit pour enfoncer la porte déjà grande ouverte :
- L’Affaire Dreyfus de Mélies, en 1899, sur le fameux procès inique
- La grande illusion de Jean Renoir, en 1937, sur l’absurdité de la guerre
- Le Dictateur de Chaplin, en 1940 sur la folie hitlérienne

Cette liste n’est qu’un petit aperçu de tout ce que le cinéma peut avoir de politique, car non seulement le cinéma a continué à faire ouvertement de la politique après 1940, avec notamment des réalisateurs engagés (le nom de Costa Gavras me vient à l’esprit). Ceci dit, même avant 1940, et même avant 1900, aux balbutiements du cinéma, ce média a été utilisé comme un moyen politique. Prenez l’affaire Dreyfus, qui a été le sujet de SEPT courts-métrages ! Imaginez qu’en 2021, sept films sortent pour traiter de la crise du COVID-19 et de sa gestion par le gouvernement !
Donc oui, cinéma et politique, littérature et politique (L’archipel du goulag, Soljenitsyne), poésie et politique (Napoléon le petit – Victor Hugo), peinture et politique (Guernica, Picasso) font bon ménage depuis toujours, et l’on peut remonter jusqu’à l’antiquité.
Le cinéma sert la catharsis, il donne à penser. Mais peut-être que cette idée n’est pas évidente si l’on considère uniquement « le cinéma » comme étant tout bon gros blockbuster hollywoodien ou autre film parfaitement convenu.
Le fait qu’il existe des films, des poésies, des livres a priori apolitiques ne diminue en rien le droit d’un média quelconque de servir à promouvoir les idées de son auteur. Et oui, chacun a le droit d’être en désaccord avec ces idées !
Ne pas voir la forêt
Cela nous amène à un autre point très proche : l’arbre qui cache la forêt (si l’on a toujours le nez collé à l’arbre depuis le début de la partie précédente). Nous considérons comme normal ce que nous avons toujours vu, cotoyé, expérimenté, et nous avons tendance à ne pas le remettre en cause. C’est notre forêt.
Un exemple pour rester dans la thématique du « genre » et de sa représentation à l’écran: nous trouvons normal que les actrices respectent certains canons de beauté. Non seulement cela ne nous dérange pas, mais c’est même recherché. Nous trouvons normal que les présentatrices météo aient toutes une certaine apparence sophistiquée et lisse. En sommes, cela se résume à l’injonction « soit belle, montre tes jambes, tes seins, et tais-toi ». Il s’agit pourtant d’un message politique fort et clair sur la position de la femme dans la société française. Je dis « française » pour ne pas dire « mondiale » ! Je vous laisse taper « présentatrice météo sexy » dans votre moteur de recherche…

Certes, nous en sommes venus à ne plus le percevoir comme tel car nous baignons dans ce paradigme depuis l’enfance. Paradigme qui est savamment entretenu depuis des générations. Nous avons le nez dans la forêt culturelle.
La télé ou le cinéma sont des produits de leur époque, et plus ou moins sciemment, plus ou moins vicieusement, plus ou moins volontairement, ils véhiculent la politique en vigueur. S’écarter un peu de l’arbre (voire de la forêt), permet de faire ce constat aisément.
L’importance de nos valeurs
A quand un « Homme qui valait trois milliards » Transgenre?
Finalement, et si mon argumentaire jusque là vous ne vous a pas trop bousculé, voici une question : qu’est-ce qui nous pousse à réagir sur un sujet et à rester indifférent à un autre ? Quelle limite invisible doit être franchie pour que nous passions à l’action (ou à l’émotion) ?
Revenons à l’origine de cet article : la dénonciation de la méprise qu’est l’interprétation d’un héros mondain du début du XXeme siècle par un acteur d’origine sénégalaise au XXIeme. Qu’est-ce qui choque réellement ? Qu’est-ce qui choque dans ce cas, cette personne, qui n’a sûrement pas été aussi consternée lorsque:

- dans la série Kamelott, Perceval est une espèce d’abruti inculte, alors qu’il est sensé être juste naïf ?
- dans Je suis une légende l’acteur est Will Smith, dont la peau est noire, alors que le héros du roman est blanc?
- dans Elementary, l’une des versions modernes de Sherlock Holmes, l’action se place aux USA au XXeme siècle et que le Dr Watson est une femme d’origine asiatique (l’actrice Lucy Liu) ?
- dans Pocahontas, on remplace une enfant de 12 ans donnée en mariage forcé à des étrangers par une adulte au physique avenant qui s’amourache du conquérant?
- dans Le Dernier Samourai, on remplace un polytechnicien français par un héros alcoolique de la guerre de sécession ?
La liste des déformations, des licences poétiques dans les films, est sans fin. J’ai cité ici celles qui me venaient à l’esprit. Il n’y a sans doute aucune adaptation de livre ou d’histoire réelle qui respecte l’original ou la vérité point par point.

Je dois confesser avoir personnellement été une espèce d’ayatollah de la véracité historique dans les films. Un film où au paléolithique des homo-sapiens doivent fuir devant des dinosaures ? Hérésie ! J’ai été un extrémiste de l’adaptation livresque. Un Beowulf post-apocalyptique avec Christophe Lambert ?! Burn the witch ! (Là, j’ai une excuse, puisque le film se trouvait être un navet sans pareille). Puis, j’ai réalisé que la création artistique ne se devait pas d’une quelconque fidélité tant que le résultat est à la hauteur, comme le pensait Alexandre Dumas. Surtout depuis, j’ai évolué.
Alors, pourquoi réagissons-nous envers certains changements, certaines libertés dans la création, et pas envers d’autres ?
La seule raison est que le message politique/sociétal/économique/religieux (rayez la mention inutile) véhiculé par ce changement entre en contradiction avec nos valeurs.

Pour reprendre mon exemple : je ne peux pas être d’accord avec un film qui déformerait la réalité pour faire passer un message (quel qu’il soit). Je m’insurgerai donc invariablement contre un film qui montre (au choix) : l’inquisition comme un acte de charité, la colonisation de quelque territoire que ce soit au dépend des autochtones comme une avancée de la civilisation, le monde politique comme une caste de bienfaiteurs désintéressés. Je trouve aussi lamentable de vouloir faire vendre en utilisant les attributs physiques d’une actrice (cf. Denise Richard dans un James Bond), les femmes et leur plaisir sexuel pour des yaourts (cf. cet article), les charmes d’un acteur masculin ayant la côté auprès des dames pour du café (cf. Georges Clooney).
Vous vous demandez peut-être là où je veux en venir. Est-ce que le fait que je m’insurge contre les pubs de yaourt n’est pas un peu la même chose que cette personne qui s’insurge contre ce qu’il pense être le « remplacement » d’un héros par un héros un peu plus foncé de peau. Eh bien si, justement. Dans les deux cas, nos valeurs entrent en contradiction avec la proposition du cinéma, des publicités.
La nuance qui m’a fait réagir dans ce cas, est que la personne semble réagir par rapport à une « mode » de faire figurer au premier plan des personnes considérées comme étant « issues de minorité » (j’utilise à dessein le jargon médiatique, il est rigolo). Pourtant, on obtiendrait sûrement pas de la même personne une réaction aussi outrée pour les exemples de publicités, télévisuels ou cinématographiques que j’ai cité juste avant.
Donc, le problème est bien une question de valeur (en l’occurrence, malheureusement, un peu raciste/sexiste). Sauf qu’il ne le voit pas, ou ne l’assume pas, ou cherche à le masquer. Pour faire le parallèle : après m’être interrogé, j’ai fini par réaliser que les entorses historiques dans les films n’avaient que peu de conséquence. Par contre, je m’insurge lorsque la réalité des faits est tronquée au service de la politique, de la religion, etc.

Et quand bien même L’homme qui valait trois milliards devrait être représenté à l’écran par un homme transgenre noir et unijambiste, cela ne nous choquerait que si cela venait en contradiction avec nos valeurs. Et ce serait une bonne occasion de s’interroger sur ces dernières !
Nous avons le droit, et même le devoir d’être choqué, de nous insurger, à condition de ne pas oublier de interroger sur la raison de notre réaction. C’est faire preuve d’honnêteté, envers soi-même et envers les autres.
Qui sait, nous pourrions révéler une fondation un peu faible à cette réaction outrée ou passionnée, et cela pourrait peut-être même nous amener à questionner nos valeurs. Traitez-moi de radical si vous voulez, mais je trouve toujours sain de reconnaître ses erreurs, et d’évoluer.