J’étais un peu à la bourre pour cet écrire cet article… autant dire que ça m’a inspiré.
Je me suis dépêché, « vite, vite, je suis en retard ». C’est tout comme « vite vite, je veux un résultat », ou « vite vite, il faut avoir fini et passer à autre chose». La pizza livrée en 15 minutes, ou la livraison Amazon en 24h: c’est tout, tout de suite.

Nous sommes tous sous une certaine pression du résultat obtenu rapidement, pression que nous reportons allègrement sur les autres (« Kevin, habille-toi vite, on part pour l’école dans 5 minutes ! »).
Oser dire que l’on prend son temps pour réaliser une tâche nous expose à la désapprobation. Oui, parce qu’être compétent impliquerait nécessairement d’être rapide. Et si on est lent, on est juste mauvais.
Alors, si vous acceptez de prendre les 5 minutes nécessaires à la lecture de cet article, je vous propose de tenter de répondre (ou du moins, de vous faire réfléchir), aux questions suivantes : d’où vient cette pression ? Peut-on y résister ? Est-elle souhaitable ? Y a t-il une autre manière de faire ? Quel est le rapport avec le développement de l’humain ?
La part de la Culture…
Cette pression du « toujours plus vite » est éminemment culturelle. Dans certains pays ou régions, elle n’existe pas… Ou en tout cas, elle n’existait pas avant une certaine mondialisation de la pensée. Aux Philippines par exemple, quand quelqu’un disait venir vous voir pour effectuer un travail en début de matinée, il y avait peu de chance le voir sur le pas de votre porte à 8h. Une amplitude d’environ 2h était considérée comme normale 😆 On m’a raconté la même histoire vers 2008 au Sénégal à propos d’un coup de peinture sur une porte qui aurait pris plusieurs semaines…

Historiquement, cette volonté de vitesse vient surtout de l’Europe et de la révolution industrielle. L’augmentation de la demande a entraîné la volonté d’optimiser la production. Cela s’est fait entre autre théoriquement avec le taylorisme puis pratiquement avec le fordisme. Les pays communistes n’ont pas été en reste avec le stakhanovisme. Avec cette optimisation, on bascule d’une valeur qui dépend de la qualité de l’objet produit, vers une valeur qui dépend du temps consommé.
« Le temps c’est de l’argent »
Et voilà que le temps devient une monnaie : comptabilisée, entrée dans des tableurs, scrutée, analysée pour une économie maximum.
Dans le monde de l’entreprise, c’est aujourd’hui la monnaie essentielle qui influe sur les décisions de production. L’un de mes élèves dirige une entreprise de travaux publics. Il me confiait qu’il revient parfois moins cher de fabriquer un escalier en marbre à partir de pièces découpées en usine qu’un banal escalier en béton. Comment est-ce que du marbre peut revenir moins cher que du béton ? ! Dans le premier cas, il suffit, grosso modo, d’assembler un jeu de Lego de pièces de marbre. Dans le second, il y a tout un processus de coffrage, de ferraillage, de coulage sans compter le temps de séchage.

Dans cet exemple, le temps de mise en œuvre du marbre est tellement plus faible qu’il compense largement le prix des matériaux. Incroyable, non ?
Vous pouvez commencer à rêver à votre futur escalier, ne me remerciez pas 😇
Le temps est une monnaie et parfois on ne le mesure que sous cet angle. Quand je dirigeais une équipe de développement chez Wanadoo (puis Orange), l’unique mesure de la qualité de notre travail était le temps mettions à sortir un produit. L’obsession du coût apparent minimum. Oui, je parle là du coût en « homme-jour », celui qui apparaît dans le budget, et non pas du coût réel.
Je suis sûr que vous avez tous déjà vécu des exemples pareils au travail…
Et pourtant nous le savons tous : faire vite ne signifie pas nécessairement faire bien.
Nous avions une telle pression de résultats rapides que lors des entretiens pour sélectionner nos contractants, je leur posais systématiquement cette question : « Pour faire un développement correct il faut trois choses : une étude technique, une documentation précise, un système de test. Vous ne pouvez en faire que deux sur trois, que sacrifiez-vous ? »
Alors, oui, je sais bien qu’il faut plus que ces trois aspects pour un développement vraiment correct ! Mais c’était une manière de jauger si mon interlocuteur avait la capacité de sortir du moule de ce qu’on lui avait appris durant ses études pour penser dans les termes de celui de la production réelle. Ne vous triturez pas les neurones : il n’y a bien entendu pas de bonne réponse à cette question !

Ce qui est terrible avec ce genre d’approche par le temps et l’efficacité, c’est que cela pousse à minimiser, voire à négliger les erreurs humaines, et à ne pas tenir compte de la durabilité ni de la nécessité d’adapter éventuellement le projet, plus tard. Chaque décision prise pour accélérer le déroulement du projet risque de se payer plus tard, et de se payer très cher qui plus est. Mais dans cette conception, le futur est négligé.
Je me suis battu pendant des années pour que les coûts de ce « plus tard » soient intégré dans les lignes budgétaires. Peine perdue. Si c’est plus tard, ce n’est pas dans le budget de cette année… oui, c’est comique. Du coup, le « plus tard » des années précédentes fait sans doute partie du budget de cette année-ci ! Bref, je riais jaune…
C’est la raison pour laquelle cette manière de faire, où l’on ne considère comme élément crucial que le temps passé sur une tâche, est éminemment mauvaise, car elle ne s’inscrit pas dans la durée.
Plats préparés VS investissement
Ceci dit, notre existence ne se limite pas au travail, heureusement ! Nous avons de nombreuses tâches à accomplir pour tenir notre logis propre, avoir de quoi manger, de quoi nous vêtir.

Avez-vous remarqué à quel point le formatage que nous subissons dans le monde du travail impacte notre comportement à la maison ? En faisant nos courses ? Ou avec nos enfants ?
Même en le sachant, je n’échappe pas toujours à cette course à la vitesse. Notamment quand j’essaie de ranger en vitesse mes papiers administratif en un… tas 🙄 Oui, chacun ses faiblesses !
Ainsi bien que nous soyons au calme à la maison, nous retrouvons le « vite, vite », le fordisme qui s’invite alors qu’il n’y a pourtant pas de patron pour nous mettre la pression. Le repas doit être préparé rapidement. D’ailleurs, l’industrie de l’agro-alimentaire nous le rappelle sans-cesse et en fait son affaire, avec son riz précuit en 3 minutes au micro-onde et ses frites en 8 minutes au four.
Il est ensuite souvent avalé en quatrième vitesse car se nourrir est aussi perçu comme une perte de temps. C’est quand même aberrant quand on y songe, d’expédier ce qui est un besoin vital pour l’être humain. Manger est un plaisir aussi, mais nous bâclons cela pour nous courir nous vautrer dans le canapé pour ne pas rater les Marseillais en Thaïlande…
Alors je lance une idée, comme ça : et si la demi-heure que nous passions à préparer un repas décent n’était pas perdue, mais qu’il s’agissait plutôt d’un investissement ? Si nous nous autorisions à changer de perspective sur le temps, et sur notre vie ?
Si la matinée que j’ai passé à concevoir les plans de mon poulailler au lieu de travailler à des projets « lucratifs » n’était pas perdue ? Oui, car non seulement ces plans me permettront d’économiser sur le prix des matériaux, de gagner du temps en découpe et en montage, mais en plus (ou surtout) de ne pas m’énerver ni de faire de grosses bourdes ? Je sais bien que nous ne montons pas un poulailler tous les jours (ou peut-être jamais). En revanche, tous les jours nous cuisinons, nous préparons nos affaires, nous rangeons ou nettoyons notre lieu de vie. Alors, si au lieu de courir partout, nous nous posions un peu avant de nous atteler à la réalisation ?
Faire la vaisselle quand l’évier est plein et la ranger prend trop de temps à vos yeux ? Peut-être que la faire plus souvent diminue les opérations manuelles engendrées par l’amoncellement du bazar, et donc le temps. Peut-être que les ustensiles devraient être rangés à d’autres endroits pour que ceux utilisés le plus fréquemment soient les plus accessibles . Observez ! Analysez ! Réfléchissez !
Vous avez peut-être déjà entendu l’adage qui dit que « lorsque l’on a pas de tête on a des jambes ». Je vous propose au contraire de vous convaincre que vous avez une tête ! Et vous êtes tous capables de l’utiliser pour vous poser, et réfléchir.
Acceptons de « perdre du temps » en organisation, pour en gagner en nombre d’allers-retours ! Attention à ne pas confondre « agitation et frénésie » avec « vitesse et efficacité ».
Acceptons de perdre du temps en réflexion, pour en gagner en réalisation !
Quid du développement humain* ?
*Je précise que je n’aime pas trop le terme de développement humain, lui préférant celui de « transformation de soi ». Je développerai cette idée dans un prochain article.
Notre développement en tant qu’individu s’inscrit dans la durée. En 2019, l’espérance de vie en France était de 79,7 ans pour les hommes, et de 85,6 ans pour les femmes (source INSEE). On pourrait dire que nous sommes un projet à long terme !
Pourtant, nous avons du mal à nous inscrire dans cette durée.
On m’a souvent demandé « au bout de combien de cours de méditation on arrive à poser son esprit », et à chaque fois, j’ai envie de répondre avec la blague :
Combien de temps le fût du canon met-il pour refroidir ?
Fernand Raynaud
…
Un certain temps !
Moi aussi, quand je m’attelle à un exercice, une pratique, un entraînement, j’ai envie d’arriver à un résultat satisfaisant le plus vite possible ! Je ne connais personne qui souhaiterait que la récompense arrive le plus tard possible !
Néanmoins, il faut accepter l’idée que certains processus prennent un temps indéterminé. Certains apprennent à nager en une heure, d’autres en trois mois. C’est comme ça.
Tant que nous n’acceptons pas cette part d’inconnu, une partie de notre esprit et de sa focalisation reste bloquée sur la non-réussite actuelle, au lieu de se porter tout entière sur l’apprentissage. Se lamenter de ne pas encore avoir fait son deuil de son compagnon/son travail/son parent n’aide en rien le processus du deuil. En réalité, nous perdons juste du temps à grommeler dans notre tête. Notre esprit est davantage occupé par l’échec apparent que par la résolution du problème.
Je parle d’échec « apparent », car il n’est pas réellement question d’échec. Quand j’apprends à nager, chacune des (longues) minutes que je passe dans l’eau à boire la tasse n’est pas un échec. C’est à chaque fois une minute de plus qui m’amène vers mon but. Une minute de plus qui me prépare au résultat final (celui que je considèrerai comme une réussite).
Le processus n’est pas une perte de temps, il faudrait plutôt le voir comme un investissement.
Deux astuces pour (vraiment) gagner du temps
Deux petites astuces, très simples, si vous voulez vraiment gagner du temps. Cela nécessite uniquement de changer notre perspective, notre manière de penser, notre « mindset » comme disent les anglophones.
1. Accepter de dépenser du temps pour un résultat de qualité
Notez que j’ai dit « dépenser », pas perdre. Focalisez-vous sur la tâche à accomplir. Réfléchissez. Expérimentez. Corrigez. Acceptez de passer ce temps à l’ouvrage pour qu’ensuite, non seulement la réalisation soit plus fluide, mais que la qualité du résultat soit meilleure.
2. Accepter que tout processus prenne un minimum de temps
Si vous arrêtez de vous focaliser sur le « finir vite », vous arrêterez de vous énerver à chaque contre-temps. Vous resterez efficace sur la réalisation et au final vous éviterez de perdre du temps !
J’espère ne pas vous avoir fait perdre votre temps avec cet article 🧐