Vous reconnaîtrez peut-être ces paroles du « Responsable », écrite en 1969 par Lanzmann et interprété par Jacques Dutronc :
J’ai des soucis j’ai des ennuis
J’ai des tracas j’ai des tourments
J’ai pas l’moral j’ai pas d’argent
J’ai pas de chance j’ai pas d’amis
J’ai pas de pot j’ai des impôts
J’ai mal au foin j’ai mal aux dents
Mais je n’veux pas changer de peau
Parc’que j’aime les emmerdements
La chanson fait sourire. En effet, elle tourne en ridicule cette farandole de soucis où l’on se complaît. Ne sommes-nous pas censés être à la recherche du bonheur ? Ne désirons-nous pas une vie tranquille, paisible, faite d’alternance entre des moments joyeux et des instants calmes ? A y regarder de plus près, peut-être pas…
Plus j’ai d’la bile plus ça me plaît
Je la bats comme du petit lait
C’que j’aime le plus c’est l’mauvais sang
Je m’en repaît à tout bout d’champ
Comment peut-on se complaire dans le malheur et le souci ? Pour les taoïstes, la réponse est à la fois complexe et très simple.
Les soucis comme compagnons
Celui qui se complaît dans son malheur remplit en réalité sa vie avec tous ses soucis. Cela lui évite de rester seul, juste avec lui-même : les problèmes créés lui tiennent compagnie. Sa réflexion est tournée toute entière vers les “emmerdements” elle ne peut donc pas servir à s’observer soi-même. En l’occurrence, le mot exact n’est pas « réflexion » mais plutôt « ressassement ». Le soucis est créé dans l’esprit, puis repris, et ressassé sans relâche, empêchant tout autre travail de réflexion. C’est finalement une solution pratique pour ne pas poser le regard sur des choses plus importantes, comme soi-même par exemple.
Du vide intérieur
Vous vous demanderez peut-être ce qu’il peut y avoir de gênant à se regarder soi-même au point que l’on cherche à l’éviter en y préférant ses idées noires. La réponse est dans la question : « soi-même ». Une introspection peut révéler un énorme vide intérieur, mettant ainsi en évidence de vraies questions existentielles.
Se voir tel que l’on est peut être source d’angoisse. Or, l’esprit a une solution toute trouvée pour éviter cette angoisse (à court terme) : regarder ailleurs ! En plus de détourner l’attention, la masse de problème que l’on entretient apporte un petit plus séduisant : il aide à se définir par ses soucis.
Qui dit entretenir ses tourments et s’y complaire dit aussi les raconter à qui voudra bien prêter une oreille (plus ou moins attentive). Même si la qualité de ce sujet de discussion est douteux, on remarque dans les faits que l’épanchement est courant. A se plaindre ainsi, l’on ne cherche pas nécessairement une solution ou de l’aide. Au contraire, résoudre les problèmes serait revenir à la case départ : le vide. Si cela venait à arriver, il faudrait trouver un autre problème…
Raconter sa vie (et ses soucis), c’est faire partie d’un groupe. C’est aussi créer une image qui nous définit auprès d’autrui. C’est créer un personnage.
Qui suis-je ?
Nous arrivons au terme de cette réflexion à la cause première de ce qui nous fait nous complaire dans les soucis : ne pas se connaître soi-même conduit inévitablement à se définir par quelque chose qui n’est pas soi.
- tôt ou tard, même les véritables amis seront lassés par les plaintes incessantes ;
- de nouveaux problèmes seront sans cesse fabriqués (pour ne pas tomber à court) ;
- le vide intérieur et la méconnaissance de soi ne seront pas résolu, et même se trouveront renforcés.
Finalement, le plus simple ne serait-il pas d’accepter de se faire face ?
Ce n’est sans doute pas glorifiant, c’est peut-être angoissant, mais cela permet sur le long terme de progresser. Les méthodes telles que la méditation et le Qi Gong contribuent à avancer dans cette voie.